La compétence du juge judiciaire au sujet de l’occupation sans titre du domaine public routier

Conseil d’État, 17 septembre 2025 :

La réparation des préjudices causés par l’occupation sans titre du domaine public routier relève de la compétence du juge judiciaire

 

Dans un arrêt du 17 septembre 2025 classé en A, le Conseil d’État est venu préciser la consistance du domaine public routier et clarifier la répartition du contentieux en cas d’atteinte à la conservation dudit domaine (CE, 17 septembre 2025, n°494428).

 

En l’espèce, la Ville de Paris a saisi le tribunal administratif de Paris afin que soit prononcée l’expulsion sans délai de deux sociétés privées occupant une parcelle dont elle est propriétaire.

Plus précisément, cette parcelle est occupée depuis 1968 par une société privée pour la construction et l’exploitation d’un parc de stationnement situé en sous-sol d’une parcelle dont la ville de Paris est propriétaire, sur le fondement de contrats conclus pour une durée déterminée.

Le parc de stationnement compte 500 places, dont 98 sont réservées aux occupants des immeubles, 200 peuvent faire l’objet d’une location, et donc, 202 places sont affectées à l’usage de parking public.

En 2021, la Ville de Paris a informé la société privée gestionnaire du parc de stationnement de son intention de reprendre possession dudit parc, mais la société a refusé de cesser de l’occuper.

La Ville de Paris a alors saisi le tribunal administratif de Paris d’une demande d’expulsion de la société privée qui, selon la collectivité, était une occupante sans titre du domaine public de la Ville. Elle a également demandé la condamnation de la société à lui verser une indemnité de 20 583 euros par mois pour réparer le préjudice causé par l’occupation sans titre du domaine.

Par un jugement du 22 mai 2023, confirmé par la Cour administrative d’appel de Paris, le tribunal administratif a fait droit à ses demandes.

 

Pour prononcer l’expulsion de l’occupante, le Conseil d’État vérifie d’abord si le parc de stationnement relève du domaine public de la Ville (1) avant de vérifier la juridiction compétente pour réparer une atteinte à la conservation du domaine public routier (2).

 

  • Le parc de stationnement appartient, dans son ensemble, au domaine public routier

 

Après avoir rappelé la définition du domaine public et du domaine public routier sur le fondement des dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques, le Conseil d’État retient d’abord que le parc de stationnement appartient la Ville de Paris, qui est une personne publique.

Il relève ensuite que cet espace sous-terrain est accessibles aux véhicules terrestres à moteur circulant sur la voie publique, le parking disposant de voies d’accès ouvertes à tous, et que le parking abrite des places de stationnement ouvertes au public.

Pour le Conseil d’État, la présence de places privées est sans importance : il considère que l’espace sous-terrestre est, dans son ensemble, affecté aux besoins de la circulation terrestre.

En conséquence, le parc de stationnement appartient, dans son ensemble, au domaine public routier de la Ville de Paris.

 

Le Conseil d’Etat fait ici usage de la théorie de la domanialité globale, dégagée par la jurisprudence en 1956 (CE, sect., 19 octobre 1956, n°20190). Cette théorie a encore trouvé de rares cas d’application dans les années 2010, notamment pour le domaine national de Chambord (CE Ass. Avis, 19 juillet 2012, n°386715) bien qu’elle n’ait pas été codifiée dans le Code général de la propriété des personnes publiques.

 

  • Le juge judiciaire est seul compétent pour réprimer et réparer les atteintes à la conservation du domaine public routier

 

Le Conseil d’État clarifie ensuite les règles en matière de juridiction compétente pour réprimer et réparer une occupation sans titre du domaine public routier.

Le juge judiciaire dispose d’un bloc de compétences s’agissant du domaine public routier, puisqu’il est juge des infractions à la police de la conservation, en application des dispositions du Code de la voirie routière et du Code général de la propriété des personnes publiques.

Il est de jurisprudence constante que la juridiction judiciaire est compétente pour statuer sur la répression des infractions à la conservation du domaine public routier.

 

Le Conseil d’Etat fait ici application d’une jurisprudence constante, rappelée dans une décision du Tribunal des conflits datée du 17 juin 2024, selon laquelle l’expulsion d’occupants sans titre du domaine public routier est liée au contentieux de la répression des infractions à la police de la conservation du domaine public routier et relève de la compétence judiciaire (TC, 17 octobre 1988, 02544  ; TC, 17 juin 2024, C4312).

 

Toutefois, dans cet arrêt, le Conseil d’Etat précise la jurisprudence appliquée jusqu’alors, en ajoutant que la réparation des préjudices pécuniaires causés par l’occupation sans titre du domaine public routier relève de la compétence du juge judiciaire :

« ressortissent à la compétence de la juridiction judiciaire, seule compétente pour statuer sur la répression des infractions à la conservation de la police du domaine public routier et pour condamner les auteurs de ces infractions à réparer les atteintes portées à ce domaine, tant les demandes tendant à l’expulsion des occupants sans titre de dépendances du domaine public routier que celles tendant à ce qu’ils soient condamnés à réparer les préjudices, y compris pécuniaires, causés par leur occupation du domaine. »

Il juge ainsi, en application des dispositions de l’article L. 116-1 du Code de la voirie routière, que la Cour administrative d’appel aurait dû relever d’office l’incompétence de la juridiction administrative pour connaître de ce litige.

 

Cette clarification permet d’unifier le contentieux en la matière, partagé entre le juge administratif pour déterminer l’appartenance d’un bien au domaine public, et le juge judiciaire pour la répression des infractions à la conservation du domaine public routier, et désormais, pour condamner les auteurs de ces infractions à réparer les atteintes portées au domaine public routier, y compris pour les préjudices pécuniaires.

 

Note rédigée par Me CORNELOUP, docteur en droit, avocat associé, spécialiste en droit public et Mallia LELARGE, juriste