L’interdiction du stationnement des gens du voyage

Est-il possible d’interdire le stationnement des gens du voyage sur un terrain non constructible leur appartenant ?

Le Conseil d’Etat rappelle que l’installation des gens du voyage n’est pas soumise aux règles générales énoncées dans le code de l’urbanisme relatives aux résidences mobiles de loisirs et habitations légères de loisirs, mais aux dispositions spéciales prévues dans la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage :

« 4. Il résulte de l’ensemble des dispositions citées au point précédent que l’installation des résidences mobiles qui, au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 2000, constituent l’habitat permanent de gens du voyage, est entièrement régie par des dispositions particulières qui, notamment, précisent les conditions dans lesquelles ces résidences peuvent faire l’objet d’une installation sur le terrain de leur propriétaire ou en zone non constructible, de même que pour une durée supérieure à trois mois. Les articles R. 111-42 du code de l’urbanisme, réglementant l’installation des résidences mobiles de loisirs, et R. 111-49 du même code, réglementant l’installation des caravanes, qui figurent d’ailleurs au sein d’une section dont l’article R. 111-31 précise que ses dispositions « ne sont applicables ni sur les foires, marchés, voies et places publiques, ni sur les aires de stationnement créées en application de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage », ne sont, ainsi, pas applicables à l’installation des résidences mobiles qui, au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 2000, constituent l’habitat permanent de gens du voyage. » Mis en gras par nos soins.

CE, 9 novembre 2018, n° 411010

En vertu des dispositions de l’article 1er de cette loi :

« I. – Les communes participent à l’accueil des personnes dites gens du voyage et dont l’habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles installées sur des aires d’accueil ou des terrains prévus à cet effet.

Ce mode d’habitat est pris en compte par les politiques et les dispositifs d’urbanisme, d’habitat et de logement adoptés par l’Etat et par les collectivités territoriales.

  1. Dans chaque département, au vu d’une évaluation préalable des besoins et de l’offre existante, notamment de la fréquence et de la durée des séjours des gens du voyage, de l’évolution de leurs modes de vie et de leur ancrage, des possibilités de scolarisation des enfants, d’accès aux soins et d’exercice des activités économiques, un schéma départemental prévoit les secteurs géographiques d’implantation et les communes où doivent être réalisés :

1° Des aires permanentes d’accueil, ainsi que leur capacité ;

Des terrains familiaux locatifs aménagés et implantés dans les conditions prévues à l’article L. 444-1 du code de l’urbanisme et destinés à l’installation prolongée de résidences mobiles, le cas échéant dans le cadre des mesures définies par le plan départemental d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées, ainsi que le nombre et la capacité des terrains ;

Des aires de grand passage, destinées à l’accueil des gens du voyage se déplaçant collectivement à l’occasion des rassemblements traditionnels ou occasionnels, ainsi que la capacité et les périodes d’utilisation de ces aires. 

Le schéma départemental définit les conditions dans lesquelles l’Etat intervient pour assurer le bon déroulement des rassemblements traditionnels ou occasionnels et des grands passages.

Les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement au schéma départemental. Celui-ci définit la nature des actions à caractère social destinées aux gens du voyage.

Deux annexes au schéma départemental recensent les terrains privés aménagés dans les conditions prévues à l’article L. 444-1 du code de l’urbanisme pour l’installation de résidences mobiles et les terrains mis à la disposition des gens du voyage par leurs employeurs, notamment dans le cadre d’emplois saisonniers.

Le schéma départemental tient compte de l’existence de sites inscrits ou classés sur le territoire des communes concernées. La réalisation des aires permanentes d’accueil doit respecter la législation applicable, selon les cas, à chacun de ces sites. » Mis en gras par nos soins.

Il ressort de ces dispositions qu’un schéma départemental doit prévoir les lieux d’accueil des gens du voyage aux sein des différentes communes.

En vertu des dispositions de l’article 2 de cette même loi :

« I.-A. Les communes figurant au schéma départemental et les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de création, d’aménagement, d’entretien et de gestion des aires d’accueil des gens du voyage et des terrains familiaux locatifs définis aux 1° à 3° du II de l’article 1er sont tenus, dans un délai de deux ans suivant la publication de ce schéma, de participer à sa mise en œuvre.

B.-Les communes membres d’un établissement public de coopération intercommunale compétent remplissent leurs obligations en accueillant sur leur territoire les aires et terrains mentionnés au A du présent I.

L’établissement public de coopération intercommunale compétent remplit ses obligations en créant, en aménageant, en entretenant et en assurant la gestion des aires et terrains dont le schéma départemental a prévu la réalisation sur son territoire. Il peut retenir un terrain d’implantation pour une aire ou un terrain situé sur le territoire d’une commune membre autre que celle figurant au schéma départemental, à la condition qu’elle soit incluse dans le même secteur géographique d’implantation.

L’établissement public de coopération intercommunale compétent peut également remplir ses obligations en contribuant au financement de la création, de l’aménagement, de l’entretien et de la gestion d’aires ou de terrains situés hors de son territoire. Il peut, à cette fin, conclure une convention avec un ou plusieurs autres établissements publics de coopération intercommunale. » Mis en gras par nos soins.

Il ressort de ces dispositions que l’EPCI compétent (lorsque cette compétence lui a été transférée par la commune) s’assure de la mise en œuvre des dispositions du schéma départemental. Selon les dispositions de ce même article, il dispose d’un délai de deux ans à compter de la publication du schéma départemental pour se mettre en conformité. Ce délai peut être prorogé de deux ans si nécessaire.

Comme le rappelle le Conseil d’Etat dans sa décision précitée, l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000 prévoit que :

« I. Le maire d’une commune membre d’un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de création, d’aménagement, d’entretien et de gestion des aires d’accueil des gens du voyage et des terrains familiaux locatifs définis aux 1° à 3° du II de l’article 1er peut, par arrêté, interdire en dehors de ces aires et terrains le stationnement sur le territoire de la commune des résidences mobiles mentionnées au même article 1er, dès lors que l’une des conditions suivantes est remplie :

1° L’établissement public de coopération intercommunale a satisfait aux obligations qui lui incombent en application de l’article 2 ;

2° L’établissement public de coopération intercommunale bénéficie du délai supplémentaire prévu au III du même article 2 ;

3° L’établissement public de coopération intercommunale dispose d’un emplacement provisoire agréé par le préfet ;

4° L’établissement public de coopération intercommunale est doté d’une aire permanente d’accueil, de terrains familiaux locatifs ou d’une aire de grand passage, sans qu’aucune des communes qui en sont membres soit inscrite au schéma départemental prévu à l’article 1er ;

5° L’établissement public de coopération intercommunale a décidé, sans y être tenu, de contribuer au financement d’une telle aire ou de tels terrains sur le territoire d’un autre établissement public de coopération intercommunale ;

6° La commune est dotée d’une aire permanente d’accueil, de terrains familiaux locatifs ou d’une aire de grand passage conformes aux prescriptions du schéma départemental, bien que l’établissement public de coopération intercommunale auquel elle appartient n’ait pas satisfait à l’ensemble de ses obligations. » Mis en gras par nos soins.

Il ressort de ces dispositions que le Maire d’une commune, membre d’un EPCI compétent en matière d’accueil des gens du voyage, peut parfaitement interdire le stationnement de caravane sur son territoire si l’EPCI est en conformité avec ses obligations en matière d’accueil des gens du voyage.

Notamment, la commune peut interdire le stationnement des gens du voyage sur son territoire lorsque l’EPCI bénéficie d’un délai supplémentaire pour la création de ces lieux d’accueil (aires permanentes, terrains, familiaux, aires de grand passage…).

Par ailleurs, il convient de noter que, à la date de la décision du Conseil d’Etat précitée, le III. de l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000 prévoyait que, même si l’EPCI est en conformité avec ses obligations en matière d’accueil des gens du voyage, la commune ne peut pas interdire le stationnement de leurs caravanes sur un terrain dont ils sont propriétaires.

Cependant, cette dernière disposition a été abrogée depuis. De sorte que, désormais, tout semble indiquer que la Commune peut parfaitement interdire l’installation des gens du voyage, même sur un terrain qui leur appartient, dès lors que l’EPCI dont elle est membre est en conformité avec ses obligations en matière d’accueil des gens du voyage.

En effet, le 27 septembre 2019, le Conseil constitutionnel a jugé que :

« En ce qui concerne le paragraphe III de l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000 :

  1. La propriété figure au nombre des droits de l’homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». En l’absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l’article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.
  1. Faute de viser le paragraphe I bis, le premier alinéa du paragraphe III de l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000 exclut que l’interdiction de stationnement soit appliquée aux terrains dont les gens du voyage sont propriétaires dans toutes les communes à l’exception de celles qui n’appartiennent pas un établissement public de coopération intercommunale.
  1. En permettant ainsi, sans aucun motif tiré notamment d’une atteinte à l’ordre public, qu’un propriétaire soit privé de la possibilité de stationner sur le terrain qu’il possède, les dispositions contestées méconnaissent le droit de propriété.
  1. Par conséquent, le paragraphe III de l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000 doit être déclaré contraire à la Constitution.» Mis en gras par nos soins.

CC, 27 septembre 2019, n° 2019-805 QPC

A la lecture de cette décision, on peut penser que le Conseil constitutionnel considère qu’il doit toujours être permis pour un membre de la communauté des gens du voyage de stationner sur un terrain qui lui appartient.

La suite de la décision est rédigée de la façon suivante :

« Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :

  1. Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration.
  1. En l’espèce, l’abrogation immédiate du paragraphe III de l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000 aurait pour effet de rendre applicable, dans les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière d’accueil des gens du voyage, l’interdiction de stationnement et la mise en œuvre d’une procédure d’évacuation forcée à des personnes qui stationnent sur des terrains dont elles sont propriétaires ou des terrains aménagés dans les conditions prévues à l’article L. 444-1 du code de l’urbanisme. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er juillet 2020 la date de l’abrogation de ces dispositions.» Mis en gras par nos soins.

CC, 27 septembre 2019, n° 2019-805 QPC

Cette décision, difficile à comprendre et très peu commentée, est fondée sur le raisonnement suivant :

  • L’article 9 I et II permettent dans leur ensemble d’empêcher le stationnement des gens du voyage sur le territoire de la commune lorsque la législation sur les aires et terrains d’accueil est respectée ;
  • L’alinéa III du même article instituait une exception de taille : l’interdiction ne vaut pas pour le stationnement réalisé sur un terrain appartenant aux gens du voyage ;
  • Mais cet alinéa III ne vise, pour l’exception qu’il institue, que les du I, du II et du II bis, sans mentionner explicitement le I bis qui concerne l’hypothèse dans laquelle la commune n’est pas membre d’un EPCI compétent en matière de création, d’aménagement, d’entretien et de gestion des aires d’accueil des gens du voyage.
  • Cela signifie donc que dans ce type de Commune, l’interdiction valait également pour les gens du voyage stationnant sur leur propre terrain, ce que le Conseil constitutionnel considère contraire au droit de propriété ;
  • Dès lors, en raison de cette inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel décide d’abroger dans sa totalité cet article 3 … alors même que dans son principe il avait pour objet de protéger les gens du voyage en empêchant que l’on puisse interdire le stationnement des gens du voyage sur leur propre terrain ;
  • Le Conseil constitutionnel, constatant que cette abrogation va permettre d’empêcher ce stationnement, a donc décidé de ne pas la prononcer au jour de sa décision mais uniquement au 1er juillet 2020…afin de laisser le temps au législateur de reprendre la loi et de prononcer la possibilité de poser l’interdiction de stationnement dans toutes les hypothèses uniquement si les gens du voyage ne sont pas propriétaires du terrain en cause ;
  • Mais le problème est que cette loi n’est jamais intervenue, ni avant le 1er juillet 2020 ni depuis ! L’on se trouve donc dans un remarquable imbroglio juridique puisque la loi permet actuellement de prononcer l’interdiction de stationnement même sur les terrains dont les gens du voyage sont propriétaires…ce que le Conseil constitutionnel a reconnu comme inconstitutionnel.

Il est toutefois impossible de se fonder sur la loi que l’on sait être inconstitutionnelle et donc violer de la sorte une disposition constitutionnelle.

Par voie de conséquence, l’interdiction de stationnement prévue à l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000 ne peut être appliquée que si le terrain en cause n’est pas la propriété des personnes qui souhaitent y stationner, sous peine de prendre une décision inconstitutionnelle.