Marchés publics : précisions sur les travaux supplémentaires
Commentaire de l’arrêt CE, 17 mars 2025, n°491682
La société Eiffage est attributaire d’un marché public de travaux lancé par un OPH pour la construction de logements sociaux. Ce marché est conclu à prix global et forfaitaire.
L’attributaire a réalisé des travaux supplémentaires pour un montant de 60 729,49 euros HT et en demande le paiement. Le tribunal administratif de Toulon fait droit à sa demande et condamne l’OPH à lui payer la somme de 52 517,63 euros HT assortie des intérêts au taux légal. La Cour administrative d’appel de Toulon a ramené cette somme à 9 695 euros HT. La société Eiffage s’est alors pourvue en cassation.
Dans quel cas le titulaire d’un marché public conclu à prix global et forfaitaire peut-il obtenir le paiement des travaux supplémentaires qu’il a réalisés ?
Le Conseil d’État juge que :
« Lorsque le titulaire d’un marché public de travaux conclu à prix global et forfaitaire exécute des travaux supplémentaires à la demande, y compris verbale, du maître d’ouvrage ou du maître d’œuvre, il a droit au paiement de ces travaux, quand bien même la demande qui lui en a été faite n’a pas pris la forme d’un ordre de service notifié conformément à ce que prévoient en principe les stipulations du cahier des clauses administratives générales.
En revanche, lorsque le titulaire du marché exécute de sa propre initiative des travaux supplémentaires, il n’a droit au paiement de ces travaux que s’ils étaient indispensables à la réalisation de l’ouvrage dans les règles de l’art. »
Le Conseil d’Etat fonde son raisonnement sur l’article 14 du CCAG travaux, et différencie deux situations :
- Les travaux supplémentaires ont été réalisés à la demande du maître d’ouvrage ou du maître d’œuvre.
Dans un tel cas, le juge administratif a récemment précisé sa position, en jugeant que le titulaire peut prétendre au paiement des travaux supplémentaires réalisés :
« 6. Le caractère global et forfaitaire du prix du marché ne fait pas obstacle à ce que l’entreprise cocontractante sollicite une indemnisation au titre de travaux supplémentaires effectués, même sans ordre de service, dès lors que ces travaux étaient indispensables à la réalisation de l’ouvrage dans les règles de l’art. Dans ce cadre, l’entreprise peut également solliciter l’indemnisation des travaux supplémentaires utiles à la personne publique contractante lorsqu’ils sont réalisés à sa demande. »
Ce considérant de principe est constamment appliqué par les juges du fond (v. par exemple CAA Toulouse, 13 février 2024, n°21TL00701 ; CAA Lyon, 2 février 2023, n°21LY01188 ; CAA Bordeaux, 28 mai 2024, n°22BX00845).
En revanche, la forme que doit prendre la demande faite par le maître d’ouvrage ou le maître d’œuvre n’est pas précisée.
Pour vérifier si les travaux ont été réalisés sur demande du maitre d’ouvrage ou du maitre d’œuvre, le Conseil d’Etat recherchait depuis longtemps l’existence d’un ordre de service écrit en application des dispositions du CCAG, puis vérifiait l’existence d’un ordre verbal :
« Cons. que le cahier des clauses et conditions générales auquel se referait le marché stipulait que les ordres de service prescrivant des travaux supplémentaires devaient être écrit ; qu’aucun autre écrit n’a été donne à l’entreprise pour effectuer de tels travaux ; qu’il ne résulte pas de l’instruction qu’un ordre verbal ait été donné »
CE, 17 octobre 1975, n°93704.
V. aussi CE, 19 mars 1982, n°18632
Dans le présent arrêt, le Conseil d’Etat fait application de la jurisprudence antérieure, mais clarifie son considérant de principe :
« 3. Lorsque le titulaire d’un marché public de travaux conclu à prix global et forfaitaire exécute des travaux supplémentaires à la demande, y compris verbale, du maître d’ouvrage ou du maître d’œuvre, il a droit au paiement de ces travaux, quand bien même la demande qui lui en a été faite n’a pas pris la forme d’un ordre de service notifié conformément à ce que prévoient en principe les stipulations du cahier des clauses administratives générales. »
Lorsque les travaux sont réalisés à la demande du maître d’ouvrage, le titulaire a droit au paiement de ces travaux, quelle que soit la forme que prend la demande du maître d’ouvrage ou du maître d’œuvre.
Dans le cas d’espèce, les travaux ont été faits sur l’ordre du maître d’œuvre : ainsi, la société Eiffage peut en demander le paiement, même si cet ordre ne prend pas la forme d’un ordre de service régulier.
Le Conseil d’Etat rappelle également qu’il n’y a pas besoin de rechercher si les travaux prescrits sont indispensables à la réalisation de l’ouvrage dans les règles de l’art, lorsqu’ils sont prescrits à la demande du maître d’œuvre ou du maître d’ouvrage :
« 4. Il s’ensuit qu’en jugeant que les travaux modificatifs et supplémentaires dont la société Eiffage Construction Sud-Est réclamait le paiement ne pouvaient être rémunérés qu’à la condition que leur réalisation ait été prescrite par un ordre de service régulier ou, à défaut, qu’il soit établi qu’ils étaient indispensables à la réalisation de l’ouvrage dans les règles de l’art et en retenant en l’espèce que la circonstance qu’il aient été réalisés sur l’ordre du maître d’œuvre ne suffisait pas, en l’absence d’ordre de service régulièrement émis, à ouvrir droit à leur rémunération, la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit. »
Ce raisonnement avait déjà été retenu dans des décisions antérieures :
« 10. En quatrième et dernier lieu, il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour administrative d’appel a rejeté une partie des conclusions de la société VATP tendant à l’indemnisation de travaux supplémentaires correspondant à des travaux d’adaptation entre le bâtiment » Cantou » et un muret en pierre aux motifs que la totalité de ces travaux n’étaient pas indispensables. En statuant ainsi alors qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juges du fond, notamment des observations du maître d’œuvre, agissant pour le compte du maître de l’ouvrage, sur le projet de décompte final établi par la société VATP, que ces travaux ont été réalisés à la demande du maître de l’ouvrage, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit. »
CE, 10 juin 2022, n°451334 précité
« 4. En troisième lieu, le cocontractant de l’administration peut demander à être indemnisé, sur la base du contrat, des travaux supplémentaires réalisés sur ordre de service, ainsi que de ceux qui ont été réalisés sans ordre de service mais qui étaient indispensables à l’exécution du contrat dans les règles de l’art, sans qu’il soit besoin de rechercher si ces travaux supplémentaires ont ou non, par leur importance, bouleversé l’économie du marché. »
CAA Marseille, 12 nov. 2018, n° 16MA03662.
V. aussi CE, 19 mars 1982, n°18632
Ainsi, à défaut de paiement, le maître d’ouvrage engage sa responsabilité contractuelle pour faute.
V. CE, 17 février 1978, n°99193
Il s’ensuit que la Cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant que les prestations supplémentaires réalisées ne pouvaient faire l’objet d’un paiement en l’absence d’un ordre de service régulièrement émis.
- Les travaux supplémentaires ont été réalisés sur l’initiative du titulaire du marché
Dans ce cas, le Conseil d’Etat rappelle que le titulaire du marché n’a pas toujours droit au paiement des travaux supplémentaires : ce n’est que lorsque ces travaux étaient indispensables à la réalisation de l’ouvrage dans les règles de l’art qu’il peut demander le paiement.
« En revanche, lorsque le titulaire du marché exécute de sa propre initiative des travaux supplémentaires, il n’a droit au paiement de ces travaux que s’ils étaient indispensables à la réalisation de l’ouvrage dans les règles de l’art. »
V. aussi CE, 17 octobre 1975, n°93704
En revanche, le maître d’œuvre ne doit pas s’être préalablement opposé à la réalisation de ces travaux