Recours administratifs : seule la date d’expédition compte
Par son arrêt du 30 juin 2025, le Conseil d’Etat est venu ancrer un revirement de jurisprudence récent, afin de simplifier les règles applicables en matière de délais de recours. (CE, 30 juin 2025, n°494573)
En l’espèce, par un courrier en date du 10 novembre 2018, réceptionné le 13 novembre 2018, deux conseillers municipaux de la Commune de RIEUMES ont formé un recours gracieux à l’encontre de deux délibérations portant approbation d’une révision allégée du PLU communal d’une part, et approbation de la conclusion d’un bail emphytéotique d’une durée de quarante ans d’autre part. Les conseillers municipaux étaient présents et ont pris part au vote, aux deux séances du conseil municipal durant lesquelles les délibérations ont été votées, les 11 septembre 2018 et 8 avril 2019.
Par une requête enregistrée le 27 janvier 2019, les deux conseillers municipaux ont saisi le Tribunal administratif de Toulouse d’une demande tendant à l’annulation de la délibération du 11 septembre 2018. Le Tribunal administratif de Toulouse a rejeté la requête du fait de sa tardiveté, dans un jugement du 25 février 2022. Les requérants ont interjeté appel de ce jugement, mais par un arrêt du 21 mars 2024, la Cour administrative d’appel de Toulouse a rejeté l’appel formé. Les deux conseillers municipaux se sont alors pourvus en cassation.
Le Conseil d’Etat a donc dû vérifier que la demande tendant à l’annulation de la délibération du 11 septembre 2018 était tardive, comme l’ont retenu les juges du fond.
Pour rappel, le délai de recours commence à courir à compter de la notification ou de la publication de la décision attaquée, en application des dispositions de l’article R. 421-1 du Code de justice administrative.
S’agissant de l’expiration de ce délai de recours, de façon constante, le juge administratif prenait en compte la date de réception du recours contentieux par la juridiction pour faire courir le délai de recours contentieux. En d’autres termes, le recours devait être réceptionné avant l’expiration du délai de recours pour ne pas être tardif.
Très récemment, le Conseil d’Etat a fait évoluer sa position en la matière afin d’harmoniser les règles applicables en cas d’envoi par la voie de Télérecours ou par envoi postal : par un arrêt du 13 mai 2024, le Conseil d’Etat a jugé que la date d’expédition fait courir ce délai de recours, le cachet de la poste faisant foi :
« 2. Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, telles les dispositions relatives à la contestation des élections politiques ou celles prévoyant des délais exprimés en heures ou expirant à un horaire qu’elles précisent, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi. »
CE, Section, 13 mai 2024, n°466541
Ce considérant de principe a été largement repris dans les mois suivants (v. par exemple CE, 23 janvier 2025, n°489491).
Toutefois, cette jurisprudence ne précisait pas si la prise en compte de la date d’expédition était applicable aux recours administratifs (recours gracieux ou hiérarchiques).
Par un arrêt novateur du 1er juillet 2024, la Cour administrative d’appel de Versailles est venue étendre le considérant de principe dégagé par le Conseil d’Etat le 13 mai 2024, aux recours administratifs :
« 8. D’autre part, le délai de l’article R. 421-1 du code de justice administrative est un délai franc. S’il expire un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, il est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant. Et sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, telles les dispositions relatives à la contestation des élections politiques ou celles prévoyant des délais exprimés en heures ou expirant à un horaire qu’elles précisent, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi. Ces principes sont également applicables aux recours administratifs non obligatoires. »
CAA Versailles, 1er juil. 2024, n° 21VE03465
Dans le présent arrêt, le Conseil d’Etat pérennise donc cette position jurisprudentielle, en précisant que la prise en compte de la date d’expédition pour faire courir le délai contentieux vaut tant pour les recours contentieux, que pour les recours administratifs, qu’ils soient gracieux ou hiérarchiques :
« 2. Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, telles les dispositions relatives à la contestation des élections politiques ou celles prévoyant des délais exprimés en heures ou expirant à un horaire qu’elles précisent, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi. Il en va de même pour apprécier si un recours administratif, gracieux ou hiérarchique, a pour effet de conserver ce délai. »
Cette évolution jurisprudentielle s’inscrit dans l’objectif de simplification auquel s’attache le juge administratif.
Ainsi, dans le cas d’espèce, l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Toulouse est annulé, puisqu’elle a commis une erreur de droit en retenant la tardiveté du recours des requérants, en prenant en compte la date de réception en mairie.
Sur le fond, en revanche, le Conseil d’Etat ne fait pas droit aux conclusions d’annulation dirigées contre la délibération du 11 septembre 2018.