Focus sur….Les emplacements réservés
Définition de l’emplacement réservé
Mobilisés à l’occasion de la création, la révision ou la modification des Plan locaux ou intercommunaux d’Urbanisme, les emplacements réservés sont des servitudes qui permettent aux collectivités de poser une option, motivée par un but d’intérêt général, sur du foncier qu’elles envisagent d’acquérir dans l’avenir.
Les terrains concernés sont ainsi réservés pour l’avenir par la collectivité. L’intérêt pour la collectivité est de sécuriser la localisation de l’opération projetée et contraindre l’usage des terrains concernés – in fine, d’éviter qu’ils ne servent à la réalisation d’un projet non conforme à la destination de la réserve ainsi instituée.
L’intérêt est d’autant plus manifeste que les possibilités de destination des emplacements réservés sont multiples. En effet, selon l’article L. 151-41 du Code de l’urbanisme, le Règlement du PLU(i) peut délimiter des emplacements réservés pour la réalisation ou la modification notamment :
- de voies et ouvrages publics,
- d’installations d’intérêt général,
- d’espaces verts ou d’espaces nécessaires aux continuités écologiques,
- de programmes de logements dans le respect des objectifs de mixité sociale dans les zones urbaines ou à urbaniser, etc.
Les emplacements réservés peuvent, par exemple, concerner la construction ou l’extension d’un groupe scolaire, la création d’une aire d’accueil, d’un square, de jardins publics, de promenades, d’espaces verts permettant la renaturation de berges ou les abords d’un cours d’eau, de parcs de stationnement, l’aménagement de pistes cyclables, d’ouvrages d’assainissement, d’une zone d’expansion de crue…
La collectivité dispose d’une large marge d’appréciation dans la définition de l’opération projetée.
Un outil efficace de maîtrise foncière qui doit être cohérent avec le PADD
L’emplacement réservé est un outil d’aménagement efficace dans sa souplesse de déploiement : si la collectivité se doit de préciser la superficie et la localisation du (ou des) terrain(s) concerné(s), le projet lui n’a pas à être précisément défini (CE, 7 juillet 2008, n°296439 ; CAA Douai, 25 janvier 2022, n°20DA01390).
L’emplacement réservé doit néanmoins être cohérent avec les orientations générales et les objectifs du Plan d’Aménagement et Développement Durable du PLU(i), à l’instar d’un emplacement réservé qui porte sur la création d’un chemin piétonnier avec l’orientation d’un PADD de développer l’accessibilité au centre-ville par des liaisons douces (CAA Marseille, 17 décembre 2020, n°19MA04733).
L’analyse du juge sera globale, à l’échelle du territoire couvert par le plan local d’urbanisme : il n’annulera donc pas nécessairement la création d’un emplacement réservé en raison de son incohérence avec un objectif particulier du PADD (CE, 30 mai 2018, n°408068).
Pour garantir cette cohérence et atténuer le risque contentieux, il est ainsi conseillé de détailler, dans le Rapport de présentation du PLU(i), les raisons d’intérêt général justifiant la création des emplacements réservés.
L’exemple récent des conclusions de l’enquête publique, dans le cadre du PLU bioclimatique de Paris, témoigne de l’appréciation parfois délicate de ce principe de cohérence. La Commission d’enquête a demandé la suppression d’un nombre certain d’emplacements réservés prévus par la Ville de Paris qu’elle juge incohérents.
Si la Commission relève que ces emplacements réservés entendent traduire les orientations du PADD en matière d’effort de production de logements, notamment de logements locatifs sociaux, elle considère que la Ville de Paris n’a pas suffisamment réfléchi à la faisabilité réelle de transformation du bâti retenu en logements. Pour la Commission, le nombre des emplacements réservés est trop conséquent au regard de la réserve foncière existante. Elle déplore aussi une méconnaissance de la réalité de la vie de quartier car ces emplacements sont majoritairement créés sur des établissements scolaires.
Un permis de construire qui doit être conforme à la destination de l’emplacement réservé
Il convient d’être vigilant dans la rédaction du Règlement du PLU(i) : seul l’emplacement parfaitement identifié tant au sein du règlement écrit qu’au sein du plan de zonage est opposable à une demande d’autorisation de travaux (CAA Nancy, 16 décembre 2021, n°19NC01937 ; Rép. Min., n°01832, JO Sénat du 6 octobre 2022, p. 4833).
Une fois opposables, l’autorité compétente est tenue de refuser une autorisation d’urbanisme, même émanant de la personne bénéficiaire de la réserve, dont l’objet serait non conforme à la destination de l’emplacement réservé (CE, 14 octobre 1991, n° 92532), à l’instar d’un permis de construire ayant pour objet la création d’un bassin de rétention sur un emplacement réservé pour la réalisation d’une voie de circulation (CAA Marseille, 16 janvier 2024, n°23MA01883).
De plus, les limitations au droit de construire ne sont pas intangibles.
Outre l’autorisation de constructions précaires, le Conseil d’État a admis la réalisation d’un projet mixte, composé de l’opération en vue de laquelle l’emplacement a été réservé et d’un autre projet compatible avec la destination assigné à l’emplacement réservé – en l’espèce, un poste de redresse électrique de la RATP et un immeuble de vingt logements (CE, 20 juin 2016, n°386978).
Le droit de délaissement du propriétaire du terrain grevé par l’emplacement réservé
Il est essentiel de comprendre que la création d’un emplacement réservé n’entraine pas de transfert de propriété du terrain. La collectivité doit donc, à terme, procéder à l’amiable, préempter, ou exproprier pour acquérir le terrain faisant l’objet d’un emplacement réservé.
Dans le cas où la collectivité ne peut plus ou ne veut plus réaliser le projet pour lequel la réserve a été instituée, elle devra procéder à une modification ou à une révision du PLU(i) pour lever la servitude.
Enfin, en application de l’article L. 152-2 du Code de l’urbanisme, le propriétaire du terrain grevé peut exercer son droit de délaissement. Cela signifie qu’il peut exiger de la collectivité du service public au bénéfice duquel le terrain a été réservé qu’il soit procédé à son acquisition dans les conditions et délais des articles L. 230-1 et suivants du même Code.
Ce droit de délaissement est une contrainte supplémentaire pour la collectivité, qui doit donc être prête à acquérir le terrain de façon anticipée.
Focus sur… rédigé par Adèle de MESNARD, avocate, docteure en droit et Mallia LELARGE, juriste apprentie