Quel avenir pour un bien illégalement préempté ?

Comment est appréciée l’atteinte excessive à l’intérêt général par le juge administratif pour faire obstacle à la rétrocession du bien ?

Par principe, en cas d’annulation d’une décision administrative et saisi d’une demande d’exécution, le juge administratif ordonne les mesures nécessaires afin de rétablir la situation initiale en application des articles L.911-1 et suivants du code de justice administrative.

En matière de préemption, l’article L.213-1-1 du code de l’urbanisme prévoit que :

« Lorsque, après que le transfert de propriété a été effectué, la décision de préemption est annulée ou déclarée illégale par la juridiction administrative, le titulaire du droit de préemption propose aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause universels ou à titre universel l’acquisition du bien en priorité. » (alinéa 1er).

Le Conseil d’État a estimé que :

« Cette annulation implique nécessairement, sauf atteinte excessive à l’intérêt général appréciée au regard de l’ensemble des intérêts en présence, que le titulaire du droit de préemption, s’il n’a pas entre temps cédé le bien illégalement préempté, prenne toute mesure afin de mettre fin aux effets de la décision annulée » (CE, 28 avr. 2004, n° 249430).

Depuis, il a mis au cœur de son raisonnement cette notion d’ « atteinte excessive à l’intérêt général » pour justifier in fine que l’annulation d’une décision pourtant illégale demeure sans effet, si le transfert de propriété est intervenu.

En effet, sur le fondement des dispositions précitées, le Conseil d’Etat a jugé le 28 septembre 2020 (n°432063) qu’il appartient au juge administratif, chargé de se prononcer sur l’obligation de rétrocession du bien, « de vérifier si, au regard de l’ensemble des intérêts en présence, la cession du bien ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général ».

A titre d’exemple, la volonté d’un OPH de réaliser un projet de logements sociaux dans un contexte où la commune est frappée d’un arrêté préfectoral constatant sa carence dans ses obligations en la matière ne permet pas de faire obstacle à la rétrocession du bien. En effet, la Cour administrative d’appel de Marseille, après avoir constaté que la parcelle est restée « dans un état identique à celui qui était le sien à la décision de préemption », a jugé que le rétablissement de la situation initiale ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général (CAA Marseille, 23 déc. 2020, n° 18MA05028 – 19MA04445).

Le juge examine donc, à la date à laquelle il statue, si la rétrocession présente des inconvénients manifestement excessifs par rapport à l’atteinte portée aux droits du vendeur ou de l’acquéreur évincé.

En l’état actuel de la jurisprudence, il semblerait que si le projet a été mis en œuvre, rien n’oblige la collectivité à rétrocéder le bien acquis en vertu d’une décision de préemption illégale.

En effet, plus récemment, la Cour administrative d’appel de Toulouse a, le 6 avril 2023 (n°22TL21608), estimé que la rétrocession des parcelles à leur ancien propriétaire ou à l’acquéreur évincé, porterait à l’intérêt général une atteinte excessive qui ne serait pas justifiée par l’intérêt qui s’attache à la disparition des effets de la décision annulée, en raison :

  • de la nature de l’illégalité entachant la décision de préemption (une seule illégalité tirée du défaut de base légale en l’absence du caractère exécutoire de la délibération instituant le droit de préemption urbain) ;
  • des sommes importantes investies par la collectivité pour des travaux substantiels pour réaménager les installations existantes ;
  • de la circonstance que les services de la collectivité sont déjà installés sur le site et qu’ils y occupent une partie significative des bâtiments réaménagés.

Le projet de relocalisation de ses activités par l’acquéreur évincé n’a ainsi pas fait le poids.

Qu’en serait-il d’une décision de préemption annulée en l’absence de l’existence d’un projet d’intérêt général, depuis défini et mis en œuvre, ou encore annulée en raison de plusieurs illégalités ?

La position du juge administratif reste attendue sur ces points précis afin de sécuriser juridiquement cette problématique.